L’histoire du reportage
C’est durant l’hiver 2022 que l’on a pris concomitamment deux décisions.
La première fut de mettre fin à notre suivi des COP après avoir constaté, à la COP26 de Glasgow, que l’objectif de la COP21 de limiter le changement climatique à 1,5 degré ne pourrait sûrement pas être tenu. Accessoirement, il nous était aussi de plus en plus difficile de financer ces reportages (transport – logement).
Du coup, nous avons pensé qu’il serait préférable d’entamer un tour d’Europe à vélo. La Russie venait d’attaquer l’Ukraine et nous nous sommes dit que cela allait être un moment crucial pour le vieux continent.
Après le Tour de France réalisé dans les années 2010, nous pourrions tenter de faire un tour du continent en 6 ou 7 ans, avant d’entamer un tour du monde, si l’envie et le physique étaient toujours là ! Voyager à vélo avec une tente ne revient pas bien cher et on peut plus disposer de son temps.
Lorsqu’on a entendu à la radio (de mémoire, en février 2022) que l’Espagne était en manque de précipitations hivernales, nous avons convenu qu’il serait bien de commencer notre tour d’Europe par la péninsule ibérique.
En 2006-2007, nous avions produit un travail documentaire en Espagne sur le thème de l’agriculture intensive où nous insistions beaucoup sur les conditions de vie de la main d’œuvre très souvent étrangère. L’idée d’apporter un second volet plus environnemental à ce travail a fait sens pour nous ; un bon approvisionnement en eau étant la condition sine qua non à la continuation de ce modèle agricole.
Comme itinéraire, il nous a semblé que suivre à vélo les cours des grands fleuves de la péninsule ibérique pouvait être judicieux. En plus de documenter les infrastructures destinées à stocker et acheminer l’eau (l’Espagne compte 1 226 barrages et retenues d’eau, un record en Europe1), nous pourrions passer plus de temps avec les Espagnols et découvrir davantage le pays. Ce que nous n’avions pas trop fait la première fois, concentrés que nous étions à documenter les conditions de vie des ouvriers agricoles maghrébins, subsahariens, d’Europe de l’Est et même sud-américains.
De plus, en faisant quelques recherches, nous apprenons que des chercheurs parlent de l’africanisation du climat au sud de l’Europe, comme en Espagne avec un risque de désertification élevé sur 20% du pays2 du fait du changement climatique.
Voilà en gros pourquoi, début juillet 2022, nous avons traversé les Pyrénées à vélo puis roulé vers la source du Tage, dans la « Sierra d’Albarracín » à l’est de Madrid, afin de suivre le fleuve jusqu’à son embouchure à Lisbonne.
De là, en passant par le centre du Portugal qui était alors touché par une grande sécheresse, nous avons atteint l’embouchure du fleuve Guadalquivir en Andalousie. Puis nous avons remonté ce cours d’eau jusqu’à sa source, à 1400 mètres d’altitude dans la Sierra de Cazorla.
Sur ce dernier tronçon, peu après Cordoue, une blessure au genou droit de Thomas a failli nous stopper net. Heureusement cela fut plus de peur que de mal. La tendinite tant redoutée s’est finalement révélée n’être qu’une vulgaire contracture. Après 4 jours de repos complet nous avons pu rouler à nouveau, quoique très lentement, pour rejoindre la naissance du Guadalquivir. Puis nous avons repris progressivement notre rythme de croisière dans la dernière partie de ce voyage, qui nous a menés de la source du fleuve Segura (à Pontones) à son embouchure à Guardamar del Segura, au sud d’Alicante.
Nous tenions absolument à suivre ce dernier fleuve car cela nous permettait de boucler la boucle avec le reportage sur le Tage que nous venions de réaliser et même avec notre premier travail sur l’agriculture intensive en 2006-2007.
Dans la mesure où une partie de l’eau du Tage est déviée via un canal vers le Ségura (Transfert Tage-Segura) pour les grandes cultures de Murcie et d’Andalousie, il aurait été dommage de s’arrêter sur une blessure près des rives du Guadalquivir.
De retour au bercail fin décembre 2022, après avoir parcouru un peu plus de 6 000 km, nous nous sommes rapidement mis à trier les photos pour monter les reportages.
En même temps ou presque a commencé la longue lutte contre le projet de réforme des retraites d’Emmanuel Macron et son gouvernement. Conscients que ce mouvement laisserait des traces dans l’histoire du pays, nous nous sommes attachés à suivre les 14 journées de mobilisation (plus quelques autres journées) jusqu’au 7 juin 2023, ce qui nous a bien retardés dans nos plans.
Du fait de ce retard, nous avons décidé de reculer d’un an notre périple au Royaume-Uni et de repartir pour environ 3 mois supplémentaires en Espagne et au Portugal, afin de suivre deux fleuves de plus, de la source à l’embouchure. 2022 fut l’année la plus chaude enregistrée en Espagne depuis 1 200 ans3 et dans la presse, en mai 2023, nous avions lu que le gouvernement espagnol venait d’allouer une aide de 2 milliards d’euro pour tenter de pallier les dégâts de la sécheresse en cours.4 Alors l’idée de poursuivre ce travail de documentation nous a paru à propos.
Le 3 septembre 2023, une fois les premiers reportages mis en forme, nous avons donc repris la route en direction des Pyrénées.
Notre premier objectif était d’atteindre l’embouchure de l’Èbre, à 170 km environ au sud de Barcelone, et de là remonter le fleuve.
Y aller à vélo nous a permis de traverser la région Catalane et de documenter la sécheresse sévère qui la touche.
Bien que nous soyons en automne, nous avons dû affronter des chaleurs élevées sur toute la partie du parcours qui nous a conduits du Delta de l’Èbre à Logroño ou presque.
De cette capitale de la province de la Rioja, nous avons bifurqué pour rejoindre la source du Fleuve Douro (Duero en espagnol) à 2 200 mètres d’altitude, aux Picos de Urbión dans la province de Soria. C’est à partir de là que nous avons basculé souvent dans le froid, le vent et la pluie. Toto, qui souffre depuis des années de la maladie de Raynaud a particulièrement morflé !
Faire les photos à Duruelo, où se trouve la source du fleuve Duero, fut particulièrement épique (cf blog).
Une fois atteint l’embouchure du fleuve à Porto (Portugal), il ne nous restait plus qu’à faire demi-tour et rentrer chez nous. Mais en passant d’abord par Reinosa, dans la province de Cantabrie, où se situe la source de l’Èbre ; et puis de nouveau par Logroño afin de parcourir la portion de ce fleuve que nous n’avions pas remontée deux mois auparavant.
Sur la fin, comme les nuits étaient souvent très fraîches voire très humides, nous avons beaucoup trouvé refuge dans les casernes de pompiers au Portugal et dans les auberges de pèlerins de Saint-Jaques-de-Compostelle en Espagne.
Nous sommes rentrés en France, en passant par Roncevaux et le col de Ibañeta, juste avant la Noël afin d’être présents aux fêtes de famille.
Au total, c’est pas moins de 11 000 kilomètres que nous aurons parcourus dans la péninsule ibérique en 2022 et 2023.
Bien souvent, durant tous ces mois, ce que nous voyons en Espagne et au Portugal nous ramène à ce que nous avions documenté au Maroc et au Chili par le passé ; deux pays en stress hydrique très avancé et pratiquant aussi par endroit l’agriculture intensive.
Nous avons pu constater en Espagne à quel point ce modèle agricole, même basé sur un impressionnant aménagement des territoires pour assurer la ressource en eau, était devenu très fragile du fait du changement climatique.
À la mi-mai, nous devrions reprendre la route, cap au nord cette fois pour les îles britanniques !
Le 31 mars 2024.
À suivre !
1 https://www.google.com/search?client=firefox-b-e&q=nombreux+barrages+en+espagne (consulté le 28 avril 2024)
2 https://www.rfi.fr/fr/podcasts/grand-reportage/20220511-face-%C3%A0-la-s%C3%A9cheresse-l-espagne-s-organise (consulté le 28 avril 2024)
3 https://www.geo.fr/environnement/lespagne-et-le-portugal-endurent-le-pire-climat-de-secheresse-vu-depuis-au-moins-1200-ans-selon-une-etude-210730 (consulté le 28 avril 2024)
4 https://fr.euronews.com/2023/05/11/face-a-la-secheresse-lespagne-annonce-un-plan-durgence-de-plus-de-2-milliards-deuros (consulté le 28 avril 2024)