Hélène sur le chemin du retour à Roncevaux et près de Logroño. Espagne – Décembre 2023.
Bonjour,
Le périple en Espagne et au Portugal, première étape du tour d’Europe que nous comptons faire, est terminé. Nous sommes revenus à la casa en temps voulu, c’est à dire suffisamment tôt pour passer les fêtes en famille et par là même ne pas se faire engueuler par les Mamas !
Le dernier tronçon, à partir de de Reinosa, nous l’avons parcouru à l’ancienne. Comme l’écran de notre téléphone a lâché, nous avons ressorti de nos sacoches la carte IGN de la péninsule ibérique pour ne pas se diriger à l’aveugle. À vrai dire, c’était plutôt agréable et cela nous a fait gagner du temps. Le seul inconvénient était de ne plus pouvoir communiquer bien sûr mais aussi pour se renseigner. Par exemple afin de savoir quels étaient les refuges de pèlerins encore ouverts en cette saison.
Les journées furent souvent super ensoleillées mais très fraîches. Les températures ont rarement dépassé les 12 degrés et la nuit nous étions parfois largement en dessous de zéro. Le matin, lorsque nous nous faisions éjecter des « dormitorios » (dortoirs) des auberges, généralement dès les 8 heures, une fois sur nos vélos, le gel piquait dur à travers nos gants. Il faut dire que Reinosa est considérée comme la deuxième ville la plus froide d’Espagne après Teruel et qu’à Logroño, au bord du fleuve Èbre, il caille vraiment.
Dans ces deux villes ou pas très loin, nous avons fait deux merveilleuses rencontres.
– La première, fut pas très loin des lacs artificiels de Alsa et de Mediajo. Nous nous étions déroutés là pour documenter le système hydraulique hyper compliqué (même un ingénieur pourrait y perdre son latin !) qui permet notamment de transférer à la demande de l’eau du barrage Èbre à la région côtière de Cantabria, très fréquentée l’été.
La veille, nous avions vu le barrage de l’Èbre et Rosa, notre hôte d’Arroyo, nous avait indiqué ce système de « bitrasvase » (système qui permet d’envoyer de l’eau aussi bien dans un sens que dans l’autre, contrairement au canal Tajo-Segura) à photographier, de l’autre côté du barrage, à 9 km sur la carte et qui devenaient 27 km par la route, avec à nouveau un passage à Reinosa.
Nous pensions en avoir fini en début d’après-midi mais un rendez-vous manqué à une cabane (et le temps perdu à se retrouver) a fait que nous étions encore sur place vers les 16 heures. Pas le temps de remonter la côte très pentue jusqu’à Reinosa, il faut se décider à passer la nuit sur place. Nous nous dirigeons vers le tout petit village de San Miguel de Aguayo qui est tout proche.
Un couple promène son chien le long du ruisseau. Sans grand espoir, nous nous présentons et leur demandons où nous pourrions dormir à l’abri du vent avec notre tente. Bruno et Naomi nous répondent : « Chez nous si vous voulez, nous avons une chambre avec des lits. » Quoi ! Nous sommes éberlués, avons-nous bien entendu ? Ce genre de réponse fut tellement rare en Espagne.
Les bonnes surprises ne s’arrêtent pas là. Nous les suivons et pour nous aider dans notre travail, Bruno nous propose de nous monter en voiture au dessus du lac et de nous montrer en haut du village le tunnel qui amène l’eau du barrage de l’Èbre. Rentrés à la tombée de la nuit et après une douche et le linge qui tourne dans la machine à laver (la dernière fois était à Tordesillas nous semble-t-il) puis dans le séchoir, nous mangeons avec la famille.
Les enfants vont rapidement au lit car il y a école le lendemain. La maison regorge de livres, ils nous montrent ceux qu’ils aiment et qui sont en relation avec le voyage, nous parlons d’écrivains voyageurs, de leur travail, du nôtre et de notre prochain projet de reportage au Royaume-Uni l’année suivante.
Le soir, avant d’éteindre, Toto regarde le portable pour avoir le plaisir de lire la traduction que Jim a fait de notre dernier post. Et là patatras ! l’écran s’éteint d’un coup. Entre l’énervement du début de journée et ça, la nuit est difficile malgré l’accueil de rêve que nous avons reçu.
Au matin, Bruno cherche un moment une solution pour réparer ou remplacer le téléphone portable tout en préparant le petit déjeuner. Puis, très réactif, il nous imprime la carte du trajet qu’il nous reste à parcourir avec des étapes de 70 km environ.
Une copie d’écran de notre itinéraire est envoyée à Jim pour un prochain post, qui expliquera, sur notre blog, que nous n’avons plus de téléphone portable et donc plus de connexion internet ni de possibilité de communiquer.
– La seconde bonne rencontre fut à Logroño.
Pour Toto, c’était son troisième passage dans cette ville ouvrière du nord du pays et, hormis la rencontre de la jeune Canadienne il y a deux mois environ (cf post du 28 octobre), nous n’en gardions pas de souvenir impérissable. Comme la nuit s’annonçait glaciale (- 4 ou moins encore), nous nous sommes dit que retourner au camping du bord de fleuve comme la dernière fois n’était sûrement pas une idée des plus brillantes. Essayer cette fois-ci les « dormitorios » de pèlerins (maintenant que nous y somme habitués) ne serait peut-être pas du temps perdu.
Dring ! « Bonjour, nous souhaiterions dormir chez vous, mais nous voudrions savoir à combien est la nuitée car c’est la fin du voyage et nous n’avons plus trop de sous. »
Étonnement en face : – « Mais… c’est gratuit. »
Ici, on inscrit soi-même son nom, prénom et numéro de carte d’identité sur le registre et pour le coup de tampon sur le livret ? « On verra ça plus tard. » Et tout comme à Zamora et Ricobayo, on donne ce qu’on veut d’euros pour la nuit passée. Par contre, Roberto nous demande si on veut bien partager un repas avec eux à 20 heures (nous avons vu le panneau qui interdit de manger dans le dortoir) et nous cochons la case « dîner » avec enthousiasme.
Le temps de déplier le drap et la taie du pèlerin, d’ouvrir notre sac de couchage, préparer nos affaires de douche et de nuit (crème de massage pour les muscles et articulations) et de nous présenter à notre voisin de lit, un Sud-Coréen ! Ils sont étonnamment très nombreux sur le Chemin de Compostelle, à cause, nous a t-on dit, d’une journaliste du pays qui a partagé son expérience positive sur le Camino de Santiago.
Notre pèlerin asiatique souffre d’une blessure sévère à un orteil, probablement due aux frottements lors de la marche et à des chaussures trop petites. Le marcheur allemand qui nous rejoint et qui a une grande pratique du Camino lui conseille de faire une pause d’un jour et d’aller en consultation médicale pour se faire soigner. Mais notre boîteux ne veut pas en entendre parler, pas question de s’arrêter. Il faudra l’intervention d’une « Hospitalero » (personne qui aide bénévolement à l’accueil), infirmière de profession, pour le faire changer d’avis après un bain de pied au bicarbonate de soude qui le soulage un peu.
À 20 heures, Roberto vient nous chercher et nous nous jetons sur la salade verte composée, enfin une salade ! Une cocotte de lentille suivra avec du vin rouge et des biscuits. Puis surprise ! La Confrérie de Notre Dame de l’Espérance (une église que nous avions photographiée la dernière fois, lorsque nous arrivions du Delta de l’Èbre) déboule avec une énorme gamelle de chocolat chaud crémeux qu’ils transportent à deux : cadeau pour les pèlerins !
Après le repas très agréable au cours duquel nous avons enfin appris le Chant du Pèlerin : « Ultreia, Ultreia, Et suseia, Deus, adjuva nos ! », c’est le moment du « sello » (coup de tampon sur notre livret de marcheur). À l’église où nous nous rendons, guidés par notre hôte dans un dédale, Roberto nous enseigne entre autres choses comment se lit un retable (verticalement et non horizontalement).
Nous retrouvons là la Confrérie de tout à l’heure, en effervescence à la veille de la fête de demain. On décore des supports d’œillets rouges et blancs, on lustre au chiffon la statue de la Vierge à l’enfant qui sera promenée, déjà positionnée sur une sorte de brancard. Dans les rues, il y a des bandas et des groupes de gens qui chantent.
Durant cette halte, grâce à Roberto, nous avons pu nous approcher de l’esprit « old school » du Camino, loin de celui que nous avons parfois trouvé dans les « Albergues de peregrinos » (plutôt des auberges de jeunesse 2.0) avec des pèlerins modernes (en fait de simples randonneurs souvent friqués avec un téléphone portable greffé à la main).
Dans les jours qui viennent, nous allons nous reposer, mais pas trop ! Si on veut repartir sur la route au mois de mai pour la deuxième étape du tour d’Europe, cette fois-ci au Royaume-Uni, il ne va pas falloir chômer. D’abord, trier toutes les photos que nous avons collectées ces presque 4 derniers mois et les organiser pour monter les reportages. Et puis aussi, réfléchir un peu à ce que l’on va bien pouvoir documenter chez les sujets de sa majesté Charles III. D’ailleurs, si vous avez des idées ou des adresses, nous sommes preneurs.
« Muchas gracias », « Obrigado » à toutes les personnes qui nous ont donné la main durant les 11 000 km que nous avons parcourus ces deux dernières années dans la péninsule ibérique.
Abrazos y Suerte,
Hélène et Thomas
PS : Le titre du post nous a été donné par une chanson du très regretté JLM, qui nous a quittés cette année.