Post-humanisme #2

Culturisme dans le parc Le Barriles. Tout près de la jonction du fleuve Douro avec son affluent, la rivière Bañuelos. Aranda de Duero. Province de Burgos, Castille-et-León. Espagne – 3 Novembre 2023.

Bonjour,

Cette quinzaine, on vous propose encore deux nouvelles galeries.

– Après la série des hôtes d’Espagne de la dernière fois, voici celle des hôtes du Portugal. Nous aimons bien réaliser ces portraits. Sur le moment, faire avec les gens une sorte de photo de famille toute simple est souvent plaisant. Après, c’est toujours agréable pour nous de revoir ces images et c’est surtout un aide-mémoire précieux. Dès qu’on regarde ces personnes dans leur quotidien, tout nous revient : ce que l’on s’est dit, des impressions, des anecdotes, des conseils, des saveurs, etc. Pour cela, la photographie a quelque chose de magique. On imagine que même si vous ne les connaissez pas, il doit y avoir quand même quelque chose qui passe. Et si vous avez déjà été dans le pays, ces photos devraient évoquer des souvenirs pour vous.

– Ensuite, une galerie qui relate notre descente du fleuve Douro, de sa source à plus de 2 000 mètres d’altitude (grimpette qui nous a valu quelques galères) jusqu’à son embouchure à Porto. À l’instar du Tage (premier travail sur les fleuves ibériques que nous vous avons présenté), le Douro est à cheval sur les deux pays que sont l’Espagne et le Portugal. Sur des portions de son parcours, il sert même de frontière naturelle entre les deux. Là, nous y avons vu de beaux paysages, très sauvages.

– Graffiti « Le dernier humain ». Espagne – 6 Décembre 2022.      
– Pêcheurs atypiques à la frontière entre le Portugal et l’Espagne – 2 Décembre 2023.

Sinon, depuis deux posts, nous vous entretenons un peu sur la figure de l’humanisme. Une notion, issue de la Renaissance italienne, qui a traversé le siècle des Lumières et qui a travaillé le monde occidental jusqu’à maintenant. De nos jours, à « L’heure des prédateurs » et « Les ingénieurs du chaos » (cf post précédent – Giuliano da Empoli), il nous semble clair que l’humanisme et ses mutations tendent à passer de mode. Le post-humanisme et le transhumanisme que l’on nous sert parfois n’a bien entendu plus rien à voir.

Dans les déclinaisons de l’humanisme, il y en a une qui nous a intéressés dernièrement. On est tombés dessus, en écoutant (tout en travaillant les images UK) cette émission de radio où l’on se demande « Pourquoi les intellectuels se trompent ». La photo d’illustration sur le site de Radio France nous a amusés puisqu’elle montre un détail d’une peinture murale concernant George Orwell, qui a récemment illustré l’un de nos posts (Entre-deux à la mi-mars).  

Vers la fin, Stéphanie Roza (chargée de recherches au CNRS, spécialiste des Lumières et de la Révolution française), qui converse dans un bon esprit avec le journaliste Samuel Fitoussi et l’animateur et producteur du programme Marc Weitzmann, se décrit comme venant plutôt de l’école humaniste-marxiste. On n’avait jamais entendu parler de cette famille et bien sûr, nous avons été regarder.

Sur Wikipédia nous lisons : […]

« L’humanisme-marxiste […] est la philosophie révolutionnaire des militants […] se référant à l’œuvre de Raya Dunayevskaya, s’appuyant notamment sur les Manuscrits de 1844 de Marx. Les idées de l’humanisme-marxisme ont commencé de se développer après la Seconde Guerre mondiale. 

Il se différencie à la fois de l’«humanisme bourgeois», de l’«humanisme social-démocrate post-marxiste» et du socialisme à visage humain. »

Dans la liste des penseurs qui figurent sur la fiche, nous trouvons des noms que nous avons souvent croisés dans nos recherches comme : Antonio Gramsci, Walter Benjamin, Herbert Marcuse, Günter Anders, André Gorz, Frantz Fanon. Et nous nous sommes demandés si notre travail n’avait pas un rapport avec l’humanisme-marxiste car deux anecdotes nous sont alors revenues en tête.

    . Pour l’humanisme :

– Au cours de la première année de lycée de Toto, sa mère, la pauvre, avait été assister à un conseil de classe affligeant. Seul le professeur de français, Mr Dupont, lui avait mis pour un temps un peu de baume au cœur en déclarant avec emphase : « Oh la la, mais ne vous faites pas de souci. Moi je le verrais bien journaliste. Votre fils c’est un humaniste ! ».  

– Au début de la décennie 2010, un ami, qui comme nous se démenait pour essayer de délaisser son travail dans la santé pour faire décoller une carrière dans la photographie documentaire (Coucou Jean !), avait appelé, assez excité, le Toto au téléphone :

– « Je viens d’apprendre le slogan de campagne (pour la présidentielle de 2012) de Mélenchon et de la coalition dont il faisait partie (à l’époque, c’était le front de gauche) : « L’humain d’abord ». Ça m’a fait fortement penser à ton travail. »

– Ah !!! 

À vrai dire, si un jour nous avons été JLM, ce serait plutôt Jean-Louis Murat que Jean-Luc Mélenchon. Nous avons souvent fait référence à cet auteur-compositeur-interprète de génie, mort brutalement il y a tout juste deux ans, le 25 mai 2025. Pour nous, il a su par sa poésie, sa musique et sa personnalité toucher les gens très profondément.

Preuve en est, les multiples initiatives de particuliers ou de ses pairs musiciens depuis sa disparition qui sont infatigablement recensés dans le blog de Pierrot (quand il n’est pas lui-même aux avant-postes). Par exemple ici en écoute, un très court morceau, une sorte d’haïku, qui vient d’être publié par Bertrand Louis. Avec le temps, on se demande si, d’artiste avec un public fidèle mais restreint, il n’accèdera pas dans les années qui viennent au statut d’artiste culte. Ce serait assez ironique mais logique à notre humble avis.

Récemment, un Institut Jean-Louis Murat a vu le jour. C’est son fils, accompagné de sa compagne et principalement de quelques proches collaborateurs du musicien qui en sont à l’initiative. Le site internet est encore en cours de construction. Ce qu’on a vu de cet institut nous a paru très classe. Bravo ! Il est possible de rejoindre le projet en adhérant ici. vous pouvez écouter une interview radio avec la présidente de l’association et le fils aîné de JLM qui expliquent bien les missions qu’ils se sont donnés.

Aussi, deux de ses chansons (bien de circonstance) que nous écoutons beaucoup en ce moment.

    . Pour le marxisme :

Il y a une dizaine d’années, alors que nous travaillions les photos d’Afrique de l’Ouest chez la Maman de Toto qui avait eu un pépin de santé, un ami de la famille (Salut Gérard !) s’était penché sur un des reportages et nous avait dit : « On dirait que vous photographiez beaucoup les gens au travail non ? Votre truc là, ça m’a tout l’air d’être marxiste ! ».  

Bon, on l’admet, c’est encore bien maigre comme arguments pour envisager un lointain rattachement à cette école (humanisme-marxiste) qui paraît bien sérieuse et que l’on connaît très peu (à part Günter Anders et quelques passages d’autres noms cités, on n’a jamais rien lu). Pour l’instant, dans le jeu des 7 familles, restons dans celles des Marx Brothers ! mais par curiosité, on va creuser la question.

Photographie maintenant, vous ne devez pas être sans savoir la mort à 81 ans du grand photographe franco-brésilien Sebastião Salgado. La presse en a beaucoup parlé, ce qui est mérité. Cet article par exemple nous a intéressés. On pense que Salgado fait partie de la dernière génération de photographes documentaires bien connus du grand public.

Après les Depardon, Mc Cullin, Nachtwey, Parr et quelques autres, il y a de grandes chances (pour de multiples raisons) que ce niveau de reconnaissance publique ne soit plus très souvent atteint. Soit dit en passant, étonnant que Salgado ne soit pas cité dans la liste Wikipédia des photographes humanistes dont nous vous parlions il y a un mois.

Pour terminer avec l’humanisme encore, il y a quinze jours, nous avions écrit à propos de la situation à Gaza. Depuis, cette intéressante émission de TV du 19 mai, posant la question : « Gaza : sommes-nous condamnés à l’impuissance ? », nous a donné envie d’écouter davantage Rony Brauman ; ce que nous avons fait en regardant cette conférence de lui sur la Palestine en plus d’autres programmes. Pour ceux qui ne le connaissent pas, c’est un médecin qui a participé au développement de l’ONG humanitaire MSF (Médecins Sans Frontières) dont il fut président de 1982 à 1994. De ce que l’on sait, il a des diagnostics et des prises de position claires et argumentées, donc pouvant aider à la réflexion.

Enfin, ici, vous trouverez une interview assez courte et , une plus longue de Jean-Pierre Filiu à la radio publique ainsi que dans une librairie bordelaise, pour accompagner la sortie de son nouveau livre paru le 28 mai : « Un historien à Gaza ». En décembre 2024, grâce à MSF justement, il a pu passer un peu plus d’un mois dans la bande de Gaza. Nous n’avons bien sûr pas eu le temps de lire le livre mais les critiques que nous avons écoutées ou lues dans la presse jusqu’à maintenant disent que c’est un témoignage rare et important.

Ici une chronique de Jean-Pierre Filiu parue dans le Monde en février 2025 portant comme titre « Sauver Gaza pour sauver l’Europe ». Et une émission radio (Gaza : les médias sont-ils à la hauteur ?) sur la couverture médiatique qui a été faite en France depuis le 7 octobre ( assez auto-critique et dans laquelle il est question du travail de Jean-Pierre Filiu).

Ajout de dernière minute : nous venons de prendre connaissance de l’entretien titré « En détruisant Gaza, Israël détruit le judaïsme » que Jean Hatzfeld a donné au journal le Monde. Il a beaucoup travaillé sur le Rwanda. Hélène avait passé deux ans dans le pays avec ses parents (pour aider au développement rural), juste avant le génocide des Tutsis en 1994 ; alors nous avions lu les livres qu’il avait produits sur le sujet. Dans l’interview, il parle de la situation à Gaza (il y voit les prémisses d’un génocide) et de sa conception du judaïsme : une philosophie humaniste. Comme quoi, dans le monde occidental, on y revient toujours …

Une bonne quinzaine à vous,

Hélène et Thomas

PS : – Il y a quinze jours, nous vous parlions de la mort de la journaliste palestinienne à Gaza, Fatma Hassona, ainsi que celle de plusieurs membres de sa famille. Ici une interview forte de Sepideh Farsi, la réalisatrice du film documentaire (Put Your Soul on Your Hand and Walk) présenté au festival de Cannes et auquel la jeune journaliste avait participé.

– De nombreuses nouvelles ont retenu notre attention durant ces deux dernières semaines en ce qui concerne l’environnement. Succinctement : la reprise du chantier de l’A69, l’effondrement d’un glacier qui détruit le village de Blatten en Suisse, la loi Duplomp et son débat escamoté (lire ici des informations à propos de l’acétamipride, le pesticide néonicotinoïde au cœur des discussions), un rapport scientifique qui indique que nous dépasserons 1,5 °C d’ici à 2029, la suppression des ZFE (zone à faible émission), le recul sur les ZAN (zéro artificialisation nette), le retour des feux de forêts au Canada comme dans le Manitoba, etc.

– D’un point de vue économique en France, la Cour des Comptes alerte sur le « risque de plus en plus sérieux de crise de liquidité » concernant la Sécurité sociale, à partir de 2027. Le pays vient toutefois d’échapper à une dégradation par l’agence Standard & Poor’s de la note accordée à sa dette (lire ici).

– Dans cette actualité bien morose nous avons pris plaisir, un matin, à écouter à la radio Monique Lévi-Strauss, l’épouse au franc-parler du célèbre anthropologue.