Fin novembre 2016, la COP de Marrakech se termine (voir le reportage "COP22" sur ce site) et je reste encore un peu au Maroc. Nous avons en tête de donner une suite au travail réalisé en Espagne (sur l'agriculture intensive et le besoin en main d'oeuvre peu coûteuse venue entre autres du Maroc) comme je l'avais fait en Afrique de l'Ouest (cf Reportages : "Le jardin de l'Europe ou le troisième monde" et "Quel avenir pour le monde rural en Afrique de l’Ouest ?"). L'agriculture dans ces deux régions (Maghreb et Afrique subsaharienne) est touchée de plein fouet par le réchauffement climatique.
Alors que déjà, "Les ressources naturelles en eau au Maroc sont parmi les plus faibles au monde." (2) Nous lisons par exemple dans un article de Ghalia Kadiri du journal Le Monde de février 2018 que : "Après une décennie de surexploitation des nappes phréatiques par l’agriculture (ce secteur contribue à 20 % du PIB), le royaume est en situation de stress hydrique." (1) Avec 500 m3/habitant/an, le pays est en deçà du seuil critique. Ce manque d'eau met les populations en grande fragilité et conduit certains à l'exode rural ou à l'émigration.
Durant un peu plus de 2 mois je parcours le Maroc du sud au nord, en bus malheureusement et non à vélo comme prévu à cause d'une mauvaise tendinite au genou. En plus de documenter ce qui me sera donné à voir de la production d'énergie renouvelable, de l'urbanisation accélérée (métropolisation et littoralisation) qui accroit les besoins en eau et annexe des terres agricoles, et des scènes de vie relatives à notre sujet, je compte réaliser une sorte de modeste état des lieux des agricultures intensives et vivrières du pays.
En février 2019, une interview d'un chercheur* associé à l’IRIS nous apprend que "La crise alimentaire mondiale de 2007-2008 a rappelé au Maroc la nécessité de porter une attention à l’agriculture et de maintenir ce secteur au rang de priorité nationale. (...) Rappelons que l’alimentation pèse encore pour moitié dans le budget moyen des ménages" (3) et qu'il n'y a pas d'autosuffisance alimentaire nationale (accroissement annuel -2017/2018- des importations (...) "dû à l’augmentation des achats (...) des produits alimentaires (+14,3%), notamment le blé (+29,2%)". (6) Et même si les secteurs des BTP, du service et de l’agriculture créent le plus d’emplois, ajoutons aussi un chômage à 9,8% qui touche surtout les jeunes, urbains, diplômés avec une "fuite des cerveaux" à l'étranger.
Au vu de toutes ces informations et compte tenu de la situation déjà difficile comment le pays va-t-il faire face?
Fortement soutenu par le Roi du Maroc Mohammed VI, "Le lancement du Plan Maroc Vert (PMV) en 2008 (...) repose sur deux piliers distincts, mais complémentaires : les exploitations capitalistiques et tournées vers l’export (...) ; l’accompagnement solidaire de la petite agriculture. (...) (Le pays) "cherche à produire plus (...), à produire mieux (réduction de l’empreinte environnementale des activités agricoles et optimisation de la qualité des aliments)." (3)
Plus récemment, au cours et à la suite de cette COP22, il y a eu : - La Proclamation de Marrakech pour l’Action en faveur de notre climat et le Développement Durable qui appelle "à un engagement politique des plus fermes (...) c'est une priorité urgente" (5) ainsi que la constitution de - "la Fondation Triple A, l’initiative pour l’adaptation de l’agriculture Africaine (Initiative AAA) qui a pour ambition de réduire la vulnérabilité de l’agriculture africaine face aux changements climatiques". "Les pays du Maghreb vont en subir les effets (...). Ce changement serait même plus accentué qu’ailleurs en raison du voisinage du Sahara au climat hyperaride. Désormais, cette évolution climatique à venir constitue une préoccupation majeure pour les États maghrébins." (4) et plus généralement on l'espère pour toute la communauté internationale !
Pour conclure, je regrette de ne pas avoir pu voyager à vélo, ce qui aurait amené sans aucun doute une plus grande proximité avec la population et m'aurait grandement facilité les prises de vue.** Je considère toutefois ce survol comme un témoignage réaliste qui doit être regardé comme un complément à nos reportages réalisées depuis plusieurs années maintenant.
Je remercie chaleureusement toutes les personnes qui m'ont aidé, soutenu durant ce voyage difficile -maladie, moral en berne, froid de l'hiver- avec en premier lieu le "Grand Chef", ainsi que celles qui on accepté d'être photographiées.
Presque un an après mon passage, nous lisons un article dans le Monde, qui rend compte "du problème de l'eau au Maroc" et, qui confirme malheureusement que les craintes que j'avais sur le moment quant à la gravité de la situation étaient fondées. Une vive inquiétude qui m'avait miné tout le reportage et même après. Comme le journaliste parle d'endroits où je suis passé, nous faisons le choix de mettre ci-dessous son papier dans son intégralité.
https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/02/17/au-maroc-il-n-y-a-plus-d-eau-ni-dans-le-ciel-ni-dans-le-sol_5258511_3244.html
Au Maroc, « il n’y a plus d’eau ni dans le ciel, ni dans le sol »
Après une décennie de surexploitation des nappes phréatiques par l’agriculture, le royaume est en situation de stress hydrique.
Par Ghalia Kadiri Publié le 17 février 2018 à 10h31 - Mis à jour le 17 février 2018 à 10h31
A Zagora, dans le sud-ouest du Maroc, en octobre 2017.
Enfin, le ciel obstinément bleu s’est assombri. Après trois mois de sécheresse, des pluies torrentielles ont arrosé les récoltes assoiffées partout au Maroc. Depuis le début de l’automne, les Marocains retenaient leur souffle, inquiets que la faible pluviométrie ne plombe la campagne agricole dans un pays où ce secteur contribue à 20 % du PIB.
Les averses de janvier ont fait remonter le niveau des barrages, rempli les oueds et les puits, et atténué l’impact sur la croissance marocaine, qui oscille tous les ans au gré des précipitations. Mais pour combien de temps ? Au Maroc, le déficit hydrique ne cesse de se creuser. Chaque année, le niveau des nappes phréatiques diminue dangereusement. Et ni les précipitations, de plus en plus faibles, ni les prières ordonnées par le roi Mohammed VI pour « implorer la pluie » ne ralentiront le tarissement de l’or bleu.
Il y a aussi a prié. Un mois plus tôt, sous le soleil brûlant des montagnes du Haut Atlas, ce producteur de céréales espérait, impuissant, que la pluie vienne irriguer sa petite parcelle d’un hectare, dans la région de Ouirgane. Comme lui, des milliers d’agriculteurs avaient semé le blé début octobre, une période cruciale où démarrent ces cultures. « Ces graines, que j’ai achetées cher, vont être perdues, se résignait, à la mi-décembre, Ihya. Quand il ne pleut pas, on creuse des puits. Mais cette fois, tout est sec. Il n’y a plus d’eau ni dans le ciel, ni dans le sol. »
Dans les petites parcelles surplombant la vallée de Ouirgane, où l’on cultive le plus souvent des céréales ou des petites légumineuses vendues dans les souks hebdomadaires, les paysans ont l’habitude de creuser des puits sans autorisation. Lorsqu’il reste un peu d’eau dans quelques sources non taries, ils acheminent la ressource jusqu’aux surfaces agricoles dans les traditionnelles séguia, des canaux d’irrigation à ciel ouvert. Privés des premières pluies, de septembre à décembre, les petits agriculteurs devront se tourner vers les cultures de printemps ou vers l’élevage pour sauver leur production agricole.
Même les exploitants dont les surfaces agricoles sont équipées de systèmes d’irrigation dotés de pompes électriques souffrent désormais de la raréfaction de l’eau. « Lorsqu’il ne pleut pas, il faut creuser de plus en plus profond dans la nappe, témoigne un riche exploitant d’agrumes de la région de Taroudant. Avant, on trouvait de l’eau à 70 mètres. Aujourd’hui, il faut descendre la pompe jusqu’à 300 mètres. A cette profondeur, on se dit : soit on cherche du pétrole, soit on creuse un autre puits plus loin. »
Petit à petit, les prélèvements excessifs ont plongé le Maroc dans une situation de «stress hydrique ». L’accès à l’eau potable est menacé. « En 1980, 2 500 mètres cubes d’eau potable étaient disponibles par personne. En 2013, elle se situait à 720 m3 », avait reconnu le gouvernement début 2013. Aujourd’hui, le niveau ne dépasse pas 500 m3 par personne.
A qui la faute ?
« On accuse le changement climatique et le tourisme. On dit que la population augmente et les besoins domestiques avec. Mais cela ne suffit pas à expliquer les crises », analyse François Molle, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement. Au Maroc, la température a augmenté de près de 10 C degré en moyenne en quarante ans. Les épisodes de sécheresse sont plus longs. Mais, pour comprendre la récurrence des pénuries, il faut aussi revenir dix ans en arrière, lorsque le royaume a lancé son plan Maroc vert (PMV).
Destiné à aider les petits agriculteurs dans un pays où la plupart des terres agricoles n’étaient pas irriguées, le programme a subventionné des systèmes d’irrigation gravitaire en goutte à goutte, censés leur permettre d’économiser jusqu’à 45 % d’eau. « Mais on oublie que les pertes permettaient de recharger la nappe », précise François Molle. De plus, « comme les surfaces agricoles étaient équipées quasiment gratuitement, tout le monde a voulu faire des cultures à plus forte valeur ajoutée, comme le maraîchage. Or celles-ci consomment beaucoup plus d’eau, explique l’économiste marocain Najib Akesbi. Au lieu de l’économiser, on s’est mis à la surconsommer. »
Sans une goutte au robinet
Depuis 2008, beaucoup de paysans qui se contentaient de produire des céréales se sont mis à densifier leurs plantations ou à cultiver des agrumes, des arbres fruitiers, voire de la betterave à sucre, gourmande en eau. Le PMV a permis l’octroi de subventions et d’autorisations de creusement de puits, et un accès facilité aux terres grâce à des partenariats publics privés, faisant exploser le territoire irrigué. « Il s’agit d’un plan ultraproductiviste conçu sur le modèle de la Politique agricole commune des années 1950 », estime M. Akesbi.
« Normalement, les nappes phréatiques sont utilisées en deuxième recours. Or, au Maroc, elles souffrent d’un déficit estimé à 1 milliard de mètres cubes par an : c’est un indicateur fiable de l’excès de la consommation d’eau pour l’agriculture », affirme M. Molle.
Le choix de l’irrigation se paie par l’épuisement des réserves souterraines mais aussi par le risque d’une pénurie d’eau potable. A l’été 2017, les habitants de Zagora, aux portes du désert, dans le Sud, ont subi de plein fouet les conséquences de la culture de la pastèque.
Des familles entières sont restées plusieurs semaines sans une goutte au robinet. Pour protester, ils ont organisé des « manifestations de la soif » . Huit mineurs ont été arrêtés et condamnés à deux mois de prison ferme. « On prive les êtres humains d’eau pour produire des fruits qu’on va exporter », s’indigne Najib Akesbi.
Difficile de résister au puissant outil politique que constitue le plan Maroc vert. Alors que le PIB agricole moyen a dépassé 100 milliards de dirhams par an (8,8 milliards d’euros), contre 75 milliards avant 2008, le programme jouit d’une grande popularité au Maroc, où l’agriculture fait vivre 40 % de la population. « Ces dix ans d’irrigation avancée et de modernisation de l’agriculture nous ont permis d’atteindre une certaine autosuffisance alimentaire »,note Mohamed Azzouz, directeur de Magriser, entreprise spécialisée en matériel d’irrigation. Entre manger et boire, il faudra bientôt choisir. p ghalia kadiri
* Sébastien Abis : directeur du Club Demeter, chercheur associé à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques)
** : Reportage réalisé avec de la pellicule ilford PAN400 sauf une quarantaine de photos "shootées" numériquement.
(1) https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/02/17/au-maroc-il-n-y-a-plus-d-eau-ni-dans-le-ciel-ni-dans-le-sol_5258511_3244.html
(2) https://www.leconomiste.com/article/1020458-gestion-du-stress-hydrique-le-grand-chaos
(3) http://www.iris-france.org/130463-maroc-lagriculture-comme-levier-de-developpement-national-et-international/
(4) https://journals.openedition.org/com/6718
(5) https://www.challenge.ma/cop22-ce-que-dit-la-proclamation-de-marrakech-pour-laction-73639/
(6) https://www.maroc-hebdo.press.ma/a-autosuffisance-cereales
Fin novembre 2016, la COP de Marrakech se termine (voir le reportage "COP22" sur ce site) et je reste encore un peu au Maroc. Nous avons en tête de donner une suite au travail réalisé en Espagne (sur l'agriculture intensive et le besoin en main d'oeuvre peu coûteuse venue entre autres du Maroc) comme je l'avais fait en Afrique de l'Ouest (cf Reportages : "Le jardin de l'Europe ou le troisième monde" et "Quel avenir pour le monde rural en Afrique de l’Ouest ?"). L'agriculture dans ces deux régions (Maghreb et Afrique subsaharienne) est touchée de plein fouet par le réchauffement climatique.
Alors que déjà, "Les ressources naturelles en eau au Maroc sont parmi les plus faibles au monde." (2) Nous lisons par exemple dans un article de Ghalia Kadiri du journal Le Monde de février 2018 que : "Après une décennie de surexploitation des nappes phréatiques par l’agriculture (ce secteur contribue à 20 % du PIB), le royaume est en situation de stress hydrique." (1) Avec 500 m3/habitant/an, le pays est en deçà du seuil critique. Ce manque d'eau met les populations en grande fragilité et conduit certains à l'exode rural ou à l'émigration.
Durant un peu plus de 2 mois je parcours le Maroc du sud au nord, en bus malheureusement et non à vélo comme prévu à cause d'une mauvaise tendinite au genou. En plus de documenter ce qui me sera donné à voir de la production d'énergie renouvelable, de l'urbanisation accélérée (métropolisation et littoralisation) qui accroit les besoins en eau et annexe des terres agricoles, et des scènes de vie relatives à notre sujet, je compte réaliser une sorte de modeste état des lieux des agricultures intensives et vivrières du pays.